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Le Monde

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Les meilleurs disques de l'année

Roumain de Paris, Vieru a enregistré l'Art de la Fugue de Bach. Il joue cette grande arche formelle en faisant entendre sa polyphonie comme personne. Vieru est capable de faire chanter les lignes avec le naturel de Rubinstein, de marquer les repères structurels avec la fermeté d'un Richter.

A. Ry

Répertoire

On peut évidemment rester interrogateur devant un 10 de Répertoire saluant - entre autres - une Sonate de Liszt et un Art de la Fugue de Bach ! Pourtant, il nous propose une autre révélation majeure : celle d'un pianiste d'origine roumaine, Andreï Vieru. Son parcours de Bach à Scriabine, d'une force de pensée inaccoutumée et d'un impact exceptionnel, lui vaut l'un de nos coups de cœur dont nous sommes plutôt avares.

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Exilé de Roumanie, Andreï Vieru est un pianiste au goût classique, mais d'une austérité suprême et d'une concentration de pensée qu'on ne retrouve que chez les très grands. Qu'il joue L'Art de la Fugue, les Bagatelles de Beethoven, ou la Sonate en si mineur, il fuit le joli, le délicat, l'anecdotique. Il est de la race des Richter ou des Arrau, de ceux que rien ne détourne de l'essentiel.

L'op. 126 de Beethoven, par la variété de ton, par la puissance, le contrôle de l'expression se situe ici au niveau de rigueur des dernières sonates ou des Variations Diabelli. La Sonate en si mineur est aussi un immense moment. Rien d'électrique, pas de fusées comme chez Horowitz, mais une unité de pensée fulgurante. Les passages les plus débridés sont abordés avec sobriété, les passages les plus tendres ne donnent jamais dans la bluette. Pourtant, au contraire de certaines versions austères on ne s'ennuie pas, car l'imagination sonore est toujours présente, la puissance étonnante et la précision chirurgicale.

L'intégrale de L'Art de la Fugue, surpasse à mon sens les interprétations trop romantiques de Grigory Sokolov (Opus 111) ou de Tatiana Nikolaïeva (Hypérion), plus individualistes.

(...) Le genre d'interprétation dont on ne se lasse pas, et que l'on peut approfondir à chaque écoute.

Les Scriabine sont aussi plus que précieux. En fait, ils prolongent l'audition de L'Art de la Fugue. Loin de tout postromantisme, de tout expressionnisme, de tout bavardage, ailleurs, aux frontières du silence, ils font entendre un langage dépouillé, sans tapage et en douce.

Une réalisation fortement pensée et magistralement conçue. À découvrir et à approfondir.

Jacques Bonnaure

Le Monde de la Musique

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

L'intelligence est avec lui, mais aussi un métier sans faille. Rare, secret, donc précieux. Il faudrait pourtant compter avec Andreï Vieru, ce pianiste né en Roumanie et installé en France, où il donne trop peu de concerts. Ce très beau disque de la collection de l'INA vient à point pour proposer un vrai programme, pour installer l'auditeur dans le déroulement d'une pensée musicale.

Simplicité thématique et perfection formelle avec les Bagatelles op. 126 de Beethoven, fresque faustienne avec la Sonate en si mineur de Liszt, architecture sereine et grandiose de l'Art de la fugue et retour à la simplicité, sonore cette fois, avec Scriabine. Voici un enregistrement avec lequel on ne chipote pas : on y reste, on ne le grappille pas.

Vieru installe son piano dans l'éternité : d'abord par le son, entièrement dans l'équilibre d'une ligne médiane - écoutez comment sonnent les bagatelles de Beethoven, la deuxième et la sixième, toutes deux construites autour d'un motif vengeur. Vieru n'y met pas cette rage qui attire tant les doigts des pianistes.

Écoutez l'opposition entre les pianissimos et les fortissimos des premières mesures de la Sonate de Liszt : il s'en dégage un mystère étouffé comme si Vieru refusait encore au piano de sonner afin de le réserver pour plus tard, dans l'énoncé du premier thème, glorieux et totalement assumé au plan pianistique.

Si Vieru était chef d'orchestre, on l'attendrait dans Bruckner, tant il sait construire : son Art de la fugue atteint la perfection parce qu'il n'est pas conçu théâtralement comme une vingtaine de scènes dont la dernière raconte la mort du créateur mais parce que le pianiste s'y efface totalement pour montrer l'œuvre avec humilité, pour la rendre lisible dans la totalité de sa durée.

Écoutez le contrepoint 7 (CD 2, plage 1) : les notes ont leurs poids idéal. Cette fugue d'une complexité affolante est irradiante sous les doigts de Vieru parce que le son est au service de la construction. Ainsi les lignes mélodiques semblent-elles évoluer avec l'évidence de plaques tectoniques, chacune selon son registre, son tempo, sa carrure.

Il y a chez Andreï Vieru une affirmation calme qui rappelle Brendel, avec sans doute plus encore de pudeur. Egalement un refus de l'ostentation, de la mode. Voici enfin un pianiste dont l'instrument ne sonne pas comme le piano d'aujourd'hui : fringant, contrasté, terriblement "objet sonore", "inouï", mais comme un instrument immémorial un instrument de sagesse. Un piano qu'on avait oublié sous les doigts de musiciens de sa génération.

Olivier Bernager

Le Monde

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Ce magnifique programme a été réalisé à partir de récitals donnés notamment à Radio-France, par un pianiste roumain que les majors du disque devraient s'arracher et qu'elles ignorent superbement.

Mais cette histoire-là arrive presque systématiquement, on ne va plus vous la raconter - plutôt tenter de faire mesurer l'exceptionnelle puissance de cet interprète. Capable de faire chanter la musique avec le naturel d'un Rubinstein. Capable aussi de marquer les repères structurels avec la fermeté d'un Richter. Ces comparaisons sont ridicules - l'artiste est solitaire par nature, et trop jeune pour mériter ces références obligées. Disons donc l'admiration que suscite sa capacité d'allier les extrêmes. Sérénité philosophique et narration poétique dans Beethoven ; arches formels (du début jusqu'au fugato, du fugato jusqu'à la dernière note) absolument maîtrisés dans la sonate de Liszt ; multiplicité des registres, des couleurs, des carrures rythmiques pour faire entendre toutes les voix de l'Art de la Fugue. Quelle profondeur de toucher, quelle main gauche ! La grande classe.

A. Ry

Fanfare

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Au dix-neuvième siècle, les super-virtuoses avaient coutume de donner des récitals d'une longueur herculéenne, comparable à la durée de celui-ci, mais ces récitals étaient d'habitude entrecoupés par le genre de "peluches" que sont les paraphrases d'opéra. Le programme de Vieru est implacablement "sérieux" (il l'appelle "musique presbytérienne") et tandis que je ne suis pas sûr d'en pouvoir supporter l'expérience à l'étroit d'un siège de salle de concert, je suis persuadé en revanche que, dans le confort domestique, ou pendant un long voyage en voiture, c'est une expérience musicale remarquable et enrichissante. À propos, je n'ai aucune idée de la façon dont les producteurs ont réussi à réunir deux heures et demie de musique sur deux CD.

Né en Roumanie, Vieru est un artiste qui se désintéresse de manière presque pathologique de l'impression qu'il fait aux autres, comme les notes du livret le font avec insistance savoir. Le choix du programme constitue une première indication d'une pareille attitude. Bien que tous les compositeurs représentés sont des figures majeures, Vieru choisit son répertoire d'une façon iconoclaste.

La Sonate de Liszt est un grand opus romantique et Vieru le joue conscient de tout ce qu'elle vaut. J'ai trouvé dans son approche des réminiscences de la version d'Alfred Cortot de 1929, avec qui il partage un formidable sens des effets de couleur, aussi bien qu'une saine indifférence pour la perfection technique. Quand le jeu de Vieru flambe ou bouillonne, il n'est pas exclu qu'il puisse sacrifier une note ou deux sur l'autel de la passion du moment.

Quelle différence cela fait avec le perfectionnisme fanatique de Pollini et de Brendel ! Mais pour moi, Vieru est bien plus près du cœur de la musique. La richesse harmonique que Vieru maintient même à des niveaux sonores élevés est une autre qualité qu'il a en commun avec Cortot.

Peut-être que l'élément le plus important du jeu de Vieru (qui le lie aux pianistes de l'âge d'or comme Cortot et le distingue des gens comme Pollini et Brendel) est l'intégration des variations des tempi dans son phrasé dynamique. Ce n'est pas simplement une question de jeu de rubato et d'accents agogiques. Vieru accélère ou ralentit selon ce que le sens musical lui enjoint de faire, même si la partition ne le stipule pas spécifiquement. Il atteint à ce style interprétatif d'une façon si organique que l'auditeur, parfois, ne peut pas aisément s'en rendre compte, surtout s'il ne connaît ni la partition, ni d'autres interprétation que celles, plus rigides, de la plupart des pianistes d'aujourd'hui. Le style de Vieru est naturel au plus haut degré.

Vieru apporte la grâce de cette approche aux délicates bagatelles de Beethoven, réalisant une belle interprétation de ce bizarre petit chef-d'œuvre. Le massif Art de la Fugue est rendu expressif par le jeu large, romantique de Vieru ; savoir si c'est vraiment là un style approprié à cette musique est une question de goût personnel. Il annonce immédiatement sa vision majestueuse de l'Art de la Fugue, prenant pour le premier Contrapunctus deux fois plus de temps que Kocsis dans son exécution de 1985. Kocsis emploie aussi des rythmes plus droits et un touché plus léger. Le Bach de Vieru est résolument pianistique, quelque peu à la façon de Richter. Comme Richter, Vieru utilise le phrasé coloré et dynamique pour souligner la texture polyphonique de la musique, bien que Bach n'ait jamais eu ce genre de moyens à sa disposition. Ainsi, bien que cette façon de jouer Bach ne soit pas, stricto sensu, authentique, c'est toujours musicalement sensible et sensé, ce qui est de loin plus important.

C'est là une interprétation vivante, et on peut seulement imaginer le charme hypnotique que l'Art de la Fugue avait dû dégager, lorsque, soixante-quinze minutes après le sombre début, Vieru a projeté dans l'air immobile les lignes finales, incomplètes de la conclusion de la vie de Bach.

Peter Burwasser

Diapason

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Ceux qui ont eu l'occasion d'observer Andreï Vieru face à son instrument le savent : on imaginerait difficilement plus dédaigneux de l'"effet" que lui, et ces deux CD constitués d'enregistrements sur le vif tracent un portrait extrêmement fidèle du pianiste roumain.

D'entrée de jeu, les Bagatelles op. 126 frappent par cette évidente volonté d'aller à l'essentiel qui caractérise Vieru et s'exprime par une ligne musicale très ferme et une sonorité impressionnante par sa densité. L'éblouissante maîtrise du texte qu'affiche l'interprète s'impose avec plus d'évidence encore dans L'Art de la Fugue. Exécuter ce chef-d'œuvre au piano ne lui fournit jamais prétexte à une quelconque surcharge expressive - à la différence du décevant enregistrement de Sokolov (Opus 111). La voie qu'il trace ignore la facilité, mais derrière cette austérité de ton vibre toute l'humanité de Bach. A elle seule, cette version rend l'album indispensable. L'enchaînement avec Scriabine se fait tout naturellement. Dans la Sonate no 9, l'interprète se souvient de ce que le sous-titre "Messe noire" n'est pas du compositeur. Loin de tout satanisme de pacotille, il offre une vision très moderne et pure de l'œuvre - une sorte de "catharsis" préparant à l'éblouissante Dixième Sonate, que l'on aimerait découvrir sous ses doigts.

Alain Cochard

Répertoire

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Le double album d'Andreï Vieru a été salué par l'ensemble de la critique (dont un 10 de Répertoire). Le jeune Vieru a de quoi nous séduire, ne serait-ce que par son approche très introspective des œuvres qu'il aborde. À cet égard, son Art de la Fugue de Bach nous livre un peu de sa remarquable intelligence à saisir les subtilités d'un contrepoint rigoureux sans rien sacrifier à l'ascèse froide prônée par certains.

Écoutez avec quelle émotion il délie la dernière fugue et la perd dans un silence de mort douce : "Komm, süsser Tod "...

Et les Scriabine ont la beauté des rêves (Sonate no9, Désir op. 57 no1, Poème op. 59 no1).

 

Répertoire Guide

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Enregistré en concert, Andreï Vieru révèle un talent exceptionnel dans un répertoire
plutôt austère.

Il fuit le joli et le délicat pour aller droit à l'essentiel. Ce qui nous vaut une passionnante intégrale de l'Art de la Fugue, la meilleure réalisée à ce jour. (...) Un artiste profond.

 

Fono Forum

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Dans sa discographie des Variations Diabelli, Jens Hagestedt regrettait que Glenn Gould n'ait pas laissé d'enregistrement et que quasiment aucun pianiste n'ait vraiment laissé de traces satisfaisantes de la partie centrale du Largo. Andreï Vieru a comblé ce manque - son jeu dans les passages difficiles est d'une merveilleuse élasticité, et culmine dans la 31ème variation, que le pianiste soumet très bien à un étirement qui en double la durée par rapport au tempo habituel.

Les Bagatelles op.119 sonnent comme des pièces ténues et fragiles : de ces pièces se dégage une impression de mélancolie résignée.

Malte Krasting

 

HI-FI NEWS & RECORD REVIEW

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Bon, d'accord, cet enregistrement des variations Diabelli ne marche pas sur les brisées de Serkin... Et si le nom de Horszowski (qui en 1953 fit jadis pour Vox un enregistrement unanimement acclamé) avait été inscrit sur la couverture ? Non, je rejette cette évaluation tiède : pour moi, ce jeune musicien de Bucarest a vraiment quelque chose à dire.

Pour être franc, on sait qu'il est facile de "décrocher" pendant cette longue œuvre (comme pendant les variations Goldberg de Bach), mais Vieru apporte une fraîcheur certaine dans chaque nouvelle variation. Son jeu est autoritaire ; il est pourtant tout à fait original - sa voix, souvent douce, lui appartient en propre.

Il joue certaines variations plus lentement que je ne l'aurais normalement souhaité (par exemple, la variation VIII poco vivace, la variation XI allegretto et la XV grave e maestoso, dans lesquelles il y a une beauté lumineuse avec de soudains traits de son blancs). La Fugue (l'avant-dernière variation précédant l'énigmatique Menuet) est rigoureuse, mais ne verse jamais dans la brutalité ; elle n'est jamais froidement intellectualisée ; rien n'y manque, ni l'appogiature inattendue juste après les octaves pesantes de la main gauche (à 1'16'' de la plage 44), ni le changement d'humeur pour la deuxième partie (les croches après le point d'orgue : 1'44'' de la plage 44), qui est le résultat d'une impressionnante montée.

Avec son beau son et l'élégance de son style, il rappelle souvent son collègue et compatriote Radu Lupu. Bien qu'il ne refuse jamais à l'auditeur la chaleur, il présente la logique de ces pièces avec une certaine objectivité.

Les Onze Bagatelles sont soigneusement conçues avec des relations entre les tempi qui assurent l'unité du cycle ; les indications dynamiques sont scrupuleusement respectées, même si le rubato peut être parfois très marqué (comme dans le 3/4 Vivace moderato, bagatelle no 9). La cinquième bagatelle, Risoluto, est jouée dans un tempo assez lent, ce qui permet aux trilles de s'y adapter d'une manière sensible.

La qualité de la prise de son se situe entre "bonne" et "magnifique" et je recommande fortement cet enregistrement.



AMERICAN RECORD GUIDE

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

(...) Celle-ci est une lecture riche, pleine de chaleur, qui navigue aisément à travers la Diaspora imaginaire de Beethoven. Il y a, dans cet enregistrement, un foisonnement d'idées. Chaque variation assume un caractère à part entière. Vieru trouve aussi le tempo idéal pour le petit thème prétentieux de Diabelli, que Beethoven transforme et révèle, dans moins d'une heure, comme un emblème du statu quo... Témoin, aussi, la façon méditative, pensive, de Vieru, de refléter la mélancolie des mélismes sinueux de la XXXIème variation, qui exprime si intensément l'ambivalence philosophique de Beethoven : la banalité bourgeoise du thème initial de Diabelli est à la fin transfigurée en une exaltation spirituelle. (...)

Vieru possède un son exceptionnellement riche, de bronze, un legato moelleux et un pianissimo fait de plénitude et de velours.



Le Bien Public

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Ce nouvel enregistrement d'Andreï Vieru n'appelle que des éloges : fidélité au texte, architecture superbe, émotion contrôlée mais réelle naissant de la seule construction musicale.

Son jeu analytique est d'une clarté. Andreï Vieru souligne la richesse des harmonies, suit la construction savante et nous rappelle que la partition est, en soi, un chef-d'œuvre d'une complexité fascinante, à laquelle se doit de suffire une lecture rigoureuse.

L'exigence de l'interprète atteint son but ; tout est dit : l'esprit, le rythme, les coupures, le caractère épique, énigmatique, martial, l'humour, la tension, les chocs dramatiques, explosifs, la douceur et la joie.

Les bagatelles soutiennent le même intérêt.

À connaître.

 

Haute Fidélité

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Pianiste secret et artiste singulier, Andreï Vieru n'est pas de ces musiciens qui cherchent à séduire par des œillades complices ou des interprétations empanachées. Son répertoire ne supporte d'ailleurs pas les effets de manche : Vieru aime les "grandes" œuvres du répertoire, les compositions qui impliquent autant l'esprit que le cœur.

Ce penseur de la musique est aussi poète qui sait, grâce à un toucher des plus subtils faire chanter et danser les notes. Les aphorismes des Bagatelles et l'architecture vertigineuse des Variations Diabelli sont pour ce pianiste un programme "sur mesure" dont il restitue la diversité, la richesse et l'humour bougon.



Le Monde de la Musique

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Très différent d'un Backhaus, d'un Serkin, d'un Brendel, d'un Arrau ou d'un Richter, Andreï Vieru veut réconcilier l'unité et la diversité en exprimant cette sorte de simplicité purifiée qui résulte paradoxalement de constellations discontinues paraissant au comble de la complication, mais qu'une secrète proportion relie entre elles. Vieru analyse, questionne, défie l'architecture et les détails tout en s'immergeant avec autant d'intelligence décapante que d'humilité dans la pensée de Beethoven. Il cherche l'épure, de toute évidence, mais trouve autre chose que la froideur sur sa route, et ses élans ses phrasés, parfois proches d'une abstraction alla Serkin, ne se diluent jamais dans un esthétisme glacé. Tout au contraire, on est peu à peu conquis par l'effacement du pianiste, qui devient presque mystérieux, voire onirique, dans les dernières variations sans rien négliger de leur part d'humour et d'humanité. Dans les Onze Bagatelles op. 119, Andreï Vieru concilie avec la même singularité ferveur, calme et hauteur de vue.

Patrick Szernovicz

Classica

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Andreï Vieru nous propose un disque bien rempli - les Onze Bagatelles sont un vrai "plus" - une autre vision du monument.

Son grand mérite est d'avoir tranché d'une manière radicale dans le foisonnement des possibles. Prenez par exemple la Variation 31 : sa lenteur d'exécution est à peine croyable. C'est très beau, mais c'est choquant. Qui a écrit cela ? Beethoven ? Mais alors un Beethoven qui aurait connu Chopin. On sait qu'il y a beaucoup d'ironie dans la partition, on voit qu'il y en a tout autant dans son interprétation.

 

The American Record Guide

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Pour ceux de nous qui avons grandi avec Boris Godounov et avions connu les paroxysmes de Stokowski dirigeant sa version des Tableaux d'une exposition, la partition originale pour piano de Moussorgski pâlit en comparaison.

Indépendamment de la version choisie, les Tableaux constituent une expérience musicale centrale, la chronique esthétique d'un proto-populiste (pour dire les choses trop vite) amoureux du pain noir et du miel, des sapins et de la neige. Mais quiconque connaît l'amour de la langue et de la culture russes sera inévitablement ému par son envergure historique et par sa profonde humanité : comme une vieille photographie jaunie, elle porte en elle quelque chose du temps et de la culture qui lui fit voir le jour il y a plus d'un siècle.

Mais il le fait avec une spécificité plus grande que la plupart des objets d'art, dans lesquels il saisit - ou du moins, imite avec une précision étrange - les inflexions particulières, les rythmes et les cadences de la langue russe. A l'intérieur de son espace compositionnel, la résonance creuse de la langue éclôt, tandis que son réservoir de myagkiye znaki (des signes doux), des voyelles voilées et l'éclat des coups de glotte surgit avec une énergie rhétorique indubitable.

On pourrait affirmer que le pianiste roumain Andreï Vieru saisit tout cela dans son interprétation vive et intelligente. Ses tempos sont brusques ; les équilibres de sa dynamique, méticuleusement calculés. En mettant ce monstre monolithique au microscope, Vieru fonce en prêtant une attention scrupuleuse aux motifs les plus minuscules. C'est une lecture quelque peu baroque qui voue un culte à la force des caractérisations succinctes. Mais au fond, c'est là un concept à peine étranger à l'interprétation de Moussorgski, dans la lumière même de l'esthétique propre au compositeur, laquelle, tout comme chez ses prédécesseurs baroques, mue la parole et ses rythmes en combustible de l'émotion.

Vieru évite la bravoure coutumière associée aux sections les plus bruyantes de cette œuvre, favorisant au lieu de cela une sorte de sinuosité allant droit au but qui en réduit l'échelle, comme s'il scrutait tout d'une grande hauteur. La galerie est ici moins suggestive de la splendeur de l'Ermitage, avec ses labyrinthes sans fin et avec l'abondance de ses façades rococo, qu'elle ne l'est des intimités de la Collection Frick et de ses discrets salons, vestibules et corridors. Dans le dernier, l'œil est attiré presque exclusivement vers les peintures, par opposition à l'environnement où ils sont exposés.

Tandis que j'admire l'approche discrète, sotto voce, de Vieru comme un changement bienvenu de la tonitruante bravoure si souvent rencontrée dans ce qu'est devenue la routine des pianistes, sa voie me semble parfois trop raffinée. Il y a quelques effets innovateurs (le subito attacca du "Gnomus", par exemple, est livré, tel un coup de poing, avec une verve admirable). "Il Vecchio Castello" est sobrement dessiné, comme une gravure plutôt que comme une toile dans un cadre ornementé. Ici Vieru semble admirer les détails architecturaux du vieux château - ses tourelles orientées et ses contreforts, ses soubassements, ses silhouettes ombragées mises en relief par les rayons du soleil.

Le touché de Vieru est léger, semblable au laser, favorisant quelquefois un certain détaché dans la main gauche. "La Hutte de Baba Yaga" tire tous les avantages d'un tel leggiero. Mais Vieru peint une sorcière sans verrues, un ogre de Hollywood quelque peu assaini.

Ce sont là des Tableaux d'une exposition idéalisés, joués authentiquement avec une certaine pureté, mais aussi avec autorité et bon goût. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'une interprétation excellente. Il rejette la dure et pompeuse lourdeur de bras que des pianistes moins doués y apportent.

Sacre du Printemps est, de même, élégant et "urbain". Cependant, le duo jouant est ici époustouflant, tout au long de la traversée par Vieru et Dan Grigore de cette transcription de Stravinsky lui-même (à l'origine pour piano à quatre mains, mais fort intelligemment jouée ici sur deux pianos). C'est une performance extrêmement impressionnante.

La prise de son est claire et transparente, sans la moindre distorsion - une réussite technique impressionnante, étant donné le volume souvent très élevé de la musique elle-même.

Young

Gramophone

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Voici deux œuvres dont la température est à la mesure de la ferveur révolutionnaire russe, deux œuvres qui cassent les règles en allant bien au-delà des paramètres musicaux précédemment connus. Cet enregistrement en dit long sur la capacité du pianiste roumain Andreï Vieru à recréer la partition de Moussorgski dans toute sa richesse et sa gloire innovatrice�

Les Tableaux d'une exposition : l'impact global est à la fois sensible et manifeste. Dans "le Vieux Château", il y a un sens impressionnant de l'étonnement, comme si l'on se ressouvenait les "batailles perdues et gagnées" et Vieru est vraiment sépulcral et mystérieux dans "Catacombae".

Le Sacre du Printemps de Stravinsky est présenté dans la version à deux pianos du compositeur et ici Vieru est rejoint par son professeur et compatriote Dan Grigore. Leur jeu, depuis l'appel primal à l'attention jusqu'à l'hyperactivité qui s'ensuit est d'une puissance et d'un charisme magnifiques. Les deux pianistes s'approprient l'énorme spectre de la technique et de l'imagination de Stravinsky, avec un sens approprié de l'aplomb et une attention scrupuleuse portée aux détails.

 

Classic FM

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

La version du Sacre du Printemps pour deux pianos a quelque chose d'essentiel à offrir. Stravinsky lui-même l'a rédigée pour des fins de répétition ; elle frappe par l'énergie explosive et l'originalité de la musique d'une manière étonnamment tranchante et acérée, ainsi qu'Andreï Vieru et Dan Grigore le démontrent dans leur impressionnante interprétation.

Tandis que les rythmes percutants de la musique ont une grande force d'impact sur deux pianos, les passages moins percutants - tels l'introduction à la Première Partie ou "L'action rituelle des ancêtres" - n'en dégagent pas moins un certain mystère.

Pour la bonne mesure, il y a une exécution colorée, puissamment articulée, en tous points excellente, par Vieru seul d'un autre chef-d'œuvre de la musique russe, celui-ci dans sa version originale : les Tableaux d'une exposition de Moussorgski.

 

CD Compact

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Le pianiste roumain Andreï Vieru fit une apparition fulgurante dans le marché du disque il y a à peu près un an avec un enregistrement splendide des Tableaux d'une exposition de Moussorgski complété par une version pour deux pianos du Sacre du printemps de Stravinsky.

Après les avoir écoutés, ils ont immédiatement attiré mon attention grâce à beaucoup de traits qui l'apparentent à son compatriote Radu Lupu : un son de grande densité, une conception très orchestrale de l'instrument, une grande subjectivité interprétative...

 


 

Classic CD Magazine

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps


Le Sacre du printemps : joué avec un tel plaisir, enregistré avec une telle présence et un tel relief, une telle ampleur et une telle plénitude.

Andreï Vieru est un excellent interprète de l'œuvre de Moussorgski ; il y révèle toute sa variété de couleurs, sans y sacrifier la cohérence.

Excellente interprétation de deux œuvres dont la présence sur un même CD est inhabituelle.

 


 

Diapason

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Artiste à la recherche de la perfection, admirateur de Glenn Gould "pour son mépris pour le �stylistiquement correct� et pour l'originalité cachée, inévidente", disait-il dans une récente interview, Andreï Vieru va à l'essentiel dans les Variations Goldberg, qu'il joue sans aucune reprise. L'œuvre respire et frémit parfois (var. 1, 2), toujours dans une rigoureuse simplicité de ton et un dépouillement extrême (voir la lente méditation de la (var. 15), que ne vient entacher aucun accent artificiel (var. 13). La précision du jeu donne un caractère à chaque variation : quel contraste entre le délicieux passe-pied de la var.19 , apparemment sans prétention, et les traits de toccata de la var. 20, ou entre le tempo exceptionnellement lent de la var. 25, assumé avec une ferveur poignante, et la fougue de la var. 26. Quelle qualité d'âme dans cette vingt-cinquième variation ! Dans un cycle aussi complexe que celui des Goldberg, la technique ne peut aller à l'essentiel que si elle puise à la source de l'émotion la plus sincère, du sentiment le plus authentique. Vieru nous propose là une vision hautement personnelle, et à ce titre passionnante, d'une œuvre que l'on dit trop souvent intellectuelle. Elle ne laissera personne indifférent.

Adelaide de Place

AMERICAN RECORD GUIDE

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Le père d'Andreï Vieru est compositeur ; sa mère, musicologue. Quelle enfance extraordinaire il doit avoir eu !

Sur ce nouveau CD Harmonia Mundi, cela devient manifeste par le choix du répertoire et la qualité de jeu inhabituels. Les Variations Goldberg sont mises dans un contexte esthétique plus vaste que d'habitude, parce que Vieru joue aussi des morceaux du Petit Livre d'Anna Magdalena, d'où vient l'aria que Bach prend comme thème pour ces variations. Vieru joue les chorals Wer nur le den lieben Gott laßt walten (BWV 691), Gib dich zufrieden und sei stille (BWV 510-512) et Dir, dir, Jehova (BWV 299) ; le premier prélude du Premier Livre du Clavier bien tempéré ; le Scherzo et Burlesca de la Troisième Partita et l'Air de la Sixième Partita ; la petite marche en Ré majeur (aujourd'hui attribué à C.P.E. Bach).

Et si ce n'est pas assez, Vieru joue aussi sa propre version inhabituelle des Quatorze canons sur les huit premières notes du thème des Goldberg que l'on a découverts en 1976. Sa conception des canons est très libre et il y inclut de petites intrusions - intelligentes mais excentriques - des pièces d'Anna Magdalena et des Variations Goldberg en plus des canons eux-mêmes. En mettant de côté de telles excentricités pardonnables, je peux attester que le style de Vieru est solide et tonique, témoignant d'un cœur sensible, romantique au sens traditionnel.

Je doute fort que, dans un avenir proche, l'on aura gravés sur CD des interprétations de chorals et de pièces d'Anna Magdalena qui soient aussi profondes. Et bien sûr, l'écoute de ces lectures si pénétrantes de fragments familiers tirés du Clavier bien tempéré et des Partitas m'oblige à me demander à quoi un enregistrement complet des unes ou de l'autre pourrait ressembler, si Vieru s'y mettait.

Ses Variations Goldberg penchent souvent du côté méditatif du spectre des tempos, mais Vieru fait beaucoup de changements d'intensité, de ton et d'articulation, de sorte que chaque variation a un caractère très individuel. Et, comme Glenn Gould, Vieru a le don de rendre le contrepoint de Bach clair comme de l'eau de roche. Il y fait peu de reprises.

Il y a beaucoup de grands moments dans cet enregistrement. En voici quelques-uns : la première variation coule dans un Allegro aisé, délicat et lyrique ; la deuxième variation est gaie, avec une excellente économie de jeu non legato, avec des changements soudains d'humeur et une différenciation limpide des trois voix polyphoniques. Les variations 15 et 25 sont d'un merveilleux calme. (Sa version de la variation 15 est un grand antidote contre l'interprétation sérieuse et terre-à-terre de Metz, que j'avais toujours dans mon esprit.) Et dans les quatre mesures finales du Quodlibet (variation 30), Vieru fait un remarquable diminuendo en même temps qu'un ritardando ostensible, comme si une boîte à musique céleste s'éteint et atteint au silence.

ROB HASKINS


Le Monde

JEAN-SÉBASTIEN BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
JEAN-SÉBASTIEN BACH : Variations Goldberg

Depuis presque dix ans qu'il réside en France, Andreï Vieru s'est affirmé comme un talent singulier et exigeant. Puriste dans l'âme, il opère avec les œuvres qu'il joue cette "recherche fondamentale" qui distille la Quintessence et ouvre les perspectives. Il y a là double parcours, entre intelligence didactique et cheminement poétique. Voilà pour la démarche, qu'en est-il de la marche ? Elle est rapide et presque farouche, avec un sentiment d'urgence qui ne se défend pas de chanter. Intelligible pièce à pièce, sobre toujours, aux prises avec le développement unidirectionnel de l'œuvre comme avec ses fluctuantes dilatations. Une dilatation parfois prémonitoire comme dans la Variation 5 d'une acception quasi beethovénienne. Expressivité et pudique nostalgie (Variation 13), dimension tragique (Variation 15), Vieru s'ingénie à marier les contraires, accentuant à loisir l'étrange modernité de la Variation 25 au point qu'il la projette dans un inconnu stylistique et musical, se plaisant à un Bach qu'il déclare - paradoxe typiquement roumain ! - comme "plagiaire par avance".

M.-A. R.



Le Monde de la Musique

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Comme dans son enregistrement récent, remarquable, des Variations Diabelli, Andreï Vieru analyse, questionne, défie l'architecture et les détails tout en s'immergeant dans l'univers des Goldberg, auxquelles il adjoint, en exergue, des extraits du Petit Livre d'Anna Magdalena Bach et Quatorze canons sur les huit premières notes de la basse de l'aria.

Son jeu, privilégiant le moindre accent, le moindre contrechant, ne laisse rien dans l'ombre et respire avec ferveur. Sans pousser, tel Glenn Gould, la clarté polyphonique jusqu'à la limite du supportable, Vieru met en valeur un texture qui se garde de demeurer factuelle pour tendre à l'expression, à la caractérisation. Cette approche à la fois rude et nuancée vaut par ses intuitions, son aisance agogique.

Patrick Szernovicz

www.ramifications.be

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

Lorsque l'équilibre s'obtient avec patience, évidence et mesure, l'inventivité se glisse dans les sensations dont les élans d'Andreï Vieru libèrent la délicate diversité. La précise architecture du Clavier bien tempéré n'exclut pas ses riches frémissements émotifs : préludes et fugues envoûtants, mélancoliques, troublants ou joyeux, allègres et vertigineux. Vieru en exprime les nuances sans trahir leur unité ni briser leur élévation douce et soutenue vers une sereine clarté. Aucune déchirure n'en ternit l'éclat et pourtant la fragile humanité transparaît dans la douceur radieuse du pianiste roumain qui suggère avec bonheur la persévérance de l'âme vers l'envol.

Isabelle Françaix

Rob Haskins in Classical Listening - Two Decades of Reviews from the American Record Guide

 

Clavier bien tempéré, Livre I
Andrei Vieru, piano
Alpha 87 (2 CD) 139 minutes (2006)


    (…) Mon expérience avec les nombreux enregistrements du Clavier bien tempéré me permet, de plus en plus, d’écouter chacun des deux Livres en une seule séance — pour autant que les performances soient à la fois suffisamment variées et qu’elles forment un tout cohérent. Et voilà le hic : il est extrêmement difficile de satisfaire à ces deux conditions dans un même enregistrement.


    Et cependant, certains artistes se rapprochent de la réalisation de cet énorme exploit.

L’interprétation du Clavier bien tempéré, Livre I par Andrei Vieru confine au miracle. Il prend des tempos  légèrement plus lents que les habituels. Le lugubre Prélude en mi bémol mineur est un des plus lents, mais le piano peut soutenir les lignes sonores et c’est très bien ainsi. Fait intéressant, la fugue est jouée dans un tempo beaucoup plus modéré et offre une agréable surprise. L'articulation tend vers un beau legato cantabile — et je ne me plaindrai jamais d’une telle manière de jouer du piano. Vieru construit l’ensemble en l’emmenant vers cette sorte de paroxysme silencieux qu’est la Fugue en fa dièse mineur, et qui est probablement la version la plus lente jamais enregistrée au disque (près de sept minutes) — plus lente que celle de Gould et que celle de Landowska. Cela produit un grand effet car après les pièces suivantes repartent avec un certain élan (jamais excessif — il s’agit ici d’une interprétation essentiellement méditative). La Fugue en La majeur est une exception, qui se déroule avec aisance jusqu'à ce que les doubles-croches deviennent texture, et là Vieru prend le vrai tempo — et cet effet-là fonctionne très bien.


    Parfois Vieru propose ce qu'il appelle des «variantes» — non pas tant des lectures de textes alternatifs, mais des interprétations alternatives du même texte musical. Les différences sont parfois ténues. Par exemple, la différence entre les deux versions  du Prélude en ut majeur semble être que l’une est jouée avec pédale et l'autre sans ; la différence entre les deux variantes du Prélude en mi bémol mineur est un peu plus difficile à saisir, mais je préfère la seconde variante (qui a été placée à la fin du premier disque). Je n'ai pas entendu une telle approche du Clavier bien tempéré en plus de vingt années d'écoute. Landowska et Martin Galling (les deux, au clavecin) s’en approchent, mais il y a quelque chose dans la version de Vieru qu'aucun d'eux ne possède — peut-être un meilleur instrument et un son plus châtoyant. Après avoir écouté ces morceaux à plusieurs reprises au clavecin, je tiens également à féliciter Vieru de ne pas trop insister sur les thèmes des fugues toutes les fois que ceux-ci font leur apparition, et d'accorder tout son dû au riche contrepoint de Bach. Il y a quelques éléments à l'ancienne: beaucoup de cadences manquent d’ornements, par exemple. Mais encore une fois, à tout prendre, je n'ai jamais entendu un Clavier bien tempéré, Livre I semblable à celui-ci — il s’agit de l’interprétation la plus stimulante que j'ai entendue depuis très longtemps.

 

 

Diapason

 

La Fugue en ut majeur est mise à plat : elle coule dans un tempo plutôt lent, nimbée de pédale. Suit un étonnant Prélude en ut mineur, aussi éolien que l'Etude op. 25 no 1 de Chopin. Vieru a entrepris de varier les angles, faire chanter la basse, rééquilibrer les voix, respirer par mesures plutôt que par temps. Il orchestre chaque page mais ne procède jamais par imitation instrumentale. Quoique. Ecoutez ces majestueux sujets de fugue énoncés dans le grave, nobles et un brin traînants, comme chantés sur un pédalier d'orgue. Ou encore, dans le Prélude en si bémol majeur, les bariolages répartis entre les deux mains qui acquièrent ici une fluidité guitaristique.

Inattendue aussi, la réorganisation de la hiérarchie des voix et des plans sonores, par les tempos apaisés, sans que le seuil de l'exagération ne soit jamais franchi. Atténuant souvent l'éclat des voix supérieures, c'est le caractère même de ces pages qu'il détourne parfois, les amenant vers une mélancolie consolatrice superbement assumée. La douceur qui baigne tout le premier livre est due au phrasé particulier de Vieru, qui exploite subtilement des variations de couleurs, d'intensité pour mener les phrases. On dépeint souvent le Bach de Vieru comme "intériorisé", il serait ici plus juste d'évoquer la confidence.

Nicolas Baron

Le Monde

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

On aborde le Clavier bien tempéré comme les acteurs incarnent le Lear de Shakespeare ou les chanteurs Le Voyage d'hiver de Schubert, une fois l'âge venu. Éprouvant pour les doigts, le cycle l'est peut-être plus encore pour le cerveau : il faut conférer à ces préludes stylistiquement si différenciés et à ces fugues complexes une cohérence générale qui n'amoindrisse pas la singularité de leurs parties.

Chaque maillon du Clavier bien tempéré peut être une chose et son inverse. C'est ce dont témoigne le pianiste français d'origine roumaine Andreï Vieru, 47 ans ; celui-ci a parsemé son enregistrement du Premier Livre, qui paraît chez le label français Alpha, de variantes, incluses au parcours même des 24 préludes et fugues...

Comme Ashkenazy, Vieru se fiche de la grammaire et du vocabulaire baroques. Mais, chez Vieru, la chose paraît secondaire tant le jeu du pianiste est architecturé. Dès le premier prélude, le fameux prélude "blanc" en ut majeur, mais dans sa deuxième version (plage 2), Vieru fait entendre un crescendo dans l'amollissement du son, gagné progressivement par la "liquidité" apportée par la pédale forte et la légère rétrogradation du tempo. En quelques instants, un "théâtre acoustique" est installé.

La sonorité est d'un beau mordoré, profonde, propice à de subtiles gradations de densité, de texture, d'articulation, le jeu de pédales est subtil. Les longues fugues trouvent dans ce jeu noble mais jamais hautain l'une de leurs plus belles incarnations au disque : la fugue finale du premier livre, dans le même si mineur tourmenté que celui du "Kyrie" de la Messe en si, le dit avec cette évidence aveuglante qui n'appartient qu'aux grands interprètes.

Renaud Machart

La Croix

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

Il n'est certes pas le premier pianiste à aborder la musique de Bach avec une volonté d'universaliser, de débaroquiser une partition aussi fondamentale que Le Clavier bien tempéré. Mais Andrei Vieru, musicien doté d'une grande hauteur de vue (cf. son texte dans la notice), est l'un des rares à apporter une griffe personnelle et poétique à chacun des 24 préludes et fugues qui forment le premier livre de ce monument. À chaque fois, ou presque, on est surpris par un tempo inattendu, un trait peu orthodoxe, une ligne de chant alambiquée, et dans le même temps, on se dit que l'interprète est dans le vrai. Parce que sans esbroufe, il nous convainc implicitement du bien-fondé de son approche. Un peu comme Sviatoslav Richter (belle référence), Vieru s'approprie cette musique, la digère à sa manière et la restitue sans la trahir. D'où des félicités inépuisables à son écoute.

J.-L. Macia

 

Diverdi

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

En matière de répertoire baroque, n'en sommes-nous pas restés, encore et toujours, au combat qu'oppose depuis des décennies les partisans des interprétations sur instruments d'époque aux défenseurs des instruments modernes, combat qui semblait tourner clairement à l'avantage des premiers ? Comment se fait-il alors que le label ALPHA, porte-drapeau de l'interprétation de la musique ancienne dans le cadre historique qui lui est propre, nous présente une version du Clavier bien tempéré par un Andreï Vieru qui ose s'asseoir rien de moins que devant un gigantesque piano Steinway ? S'agit-il là d'une provocation ?

De semblables questions rôdaient dans la tête de l'auteur de cette critique avant qu'il n'écoute le Premier Livre (2 CD) du Clavier bien tempéré de J.S. Bach. Il est certain qu'il est difficile de savoir à quel instrument Bach pensait exactement après l'avoir écrite, puisque en son temps le mot clavier servait à désigner n'importe quel type de clavier.

Mais Vieru a préféré graver le Clavier bien tempéré au piano, selon l'habitude qui régnait avant que le grand Leonhardt et ses coreligionnaires n'aient préféré faire le contraire. Il s'est mis donc devant son Steinway et, force est de le reconnaître, a pénétré à fond l'esprit de la composition, pour nous offrir sa précieuse succession de préludes et fugues - avec un lyrisme profond, avec le plus grand équilibre, en respectant toutes leurs subtilités rythmiques et harmoniques.

La lecture de Vieru est exempte de contrastes dynamiques étrangers à l'œuvre. Le choix de ses tempi n'a rien d'artificiel, d'extrême. Il y a là en revanche un traitement des timbres singulièrement précis, raffiné, sans brusquerie aucune dans le tissu sonore, sans d'inutiles prouesses techniques qui auraient pu porter atteinte à la solidité de l'architecture. Les sonorités ne manquent pas de chair. Leur hiérarchisation est superbe ; la compréhension du contrepoint, exquise (écoutez cette Fugue en ut mineur BWV 847, certes d'une délicatesse inaccoutumée, ou la Fugue en Ré majeur BWV 850, aux intensités sonores précisément circonscrites à leur impact idéal).

C'est comme si l'interprète sondait la vibration propre à chaque section pour mieux l'adapter à son diapason interne. Cet enregistrement de Vieru a quelque chose d'une méditation. Une méditation sur la fidélité et l'inspiration à l'heure où la question se pose d'interpréter cette partition au piano moderne, en optant finalement pour une position paradoxale : un vol poétique, subtile au plus haut degré, qui ne cesse de respirer et d'animer l'immense rigueur structurelle de ces architectures sonores si légères et si complexes.

Le résultat est fascinant. C'est comme d'écouter un Bach - un grand Bach - dans lequel résonne obscurément, surgissant d'une strate très profonde et occulte, le battement du dernier Beethoven ou du dernier Schubert. Nous attendons avec intérêt la deuxième partie de ce Steinway bien tempéré.

L. J. R. V.

Classica-Répertoire

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Ce Second Livre, interprété lui aussi avec beaucoup d'intériorité, de recueillement, en toute intimité, nous parvient de la même manière un peu distanciée, comme de la lumière filtrée par les vitraux d'une église, mais sans que le style très personnel du pianiste ne s'interpose jamais entre la musique et l'auteur : il y apporte une incontestable profondeur poétique. Et il tient ses tempos lents avec une maîtrise remarquable. Cette vision calme et unifiée apporte assurément quelque chose de nouveau à la discographie.

 

Diapason

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le Livre I nous avait séduit par sa vision intériorisée, sa permanente réinvention du timbre pianistique. C'est la même quête qui anime le deuxième cahier, le pianiste s'attachant à varier les angles d'une page à l'autre, comme à la recherche de la sonorité et du jeu adéquats pour chacun de ces préludes et fugues, considérés tels des diptyques picturaux qu'il conviendrait d'éclairer différemment. Tempos retenus, voix individualisées, équilibres remis en cause, Vieru s'invite chez Bach comme on relit ses classiques : avec la patiente gourmandise de celui qui a déjà arpenté le chemin.

Témoin de cette vision parfois proche de l'orchestration, le Prélude en si bémol majeur est chanté comme une pastorale organistique soutenue par les accents traînants du pédalier. Le Prélude en sol mineur semble convier la douceur des cuivres et leurs appels dispersés dans l'espace illustrent à merveille le permanent rééquilibrage des voix qui caractérise ce Clavier bien tempéré nimbé du ton de la confidence.

Nicolas Baron

La Tribune de Genève

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le pianiste roumain Andreï Vieru propose toujours des interprétations pensées en profondeur, qui résistent à l'épreuve du temps. Dans le Deuxième Livre du Clavier bien tempéré de Bach (3 CD Alpha), son approche sereine fait merveille. Tout en conservant une infaillible clarté polyphonique, Vieru humanise cette musique qui pourrait s'étouffer sous le poids de sa propre perfection.

 

La libre Belgique

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le disque de la semaine

Le pianiste français d'origine roumaine Andreï Vieru mériterait sans nul doute plus de notoriété. Fils du compositeur Anatol Vieru mais aussi digne héritier d'une lignée de pianistes roumains aussi illustres que Dinu Lipatti et Radu Lupu, il achève ici avec le Deuxième Livre une intégrale du Clavier bien tempéré qui fera date.

Il paraît que Vieru hésita longtemps entre la musique et les mathématiques, mais la simplicité de son approche et la transparence de son toucher l'inscrivent plus du côté de Richter ou Schiff que de celui de Gould. C'est une merveille que d'entendre cet émouvant mélange d'humilité et d'intériorité qui caractérisent son jeu.

N. B.

 

Le Monde

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Les meilleurs disques de l'année

Roumain de Paris, Vieru a enregistré l'Art de la Fugue de Bach. Il joue cette grande arche formelle en faisant entendre sa polyphonie comme personne. Vieru est capable de faire chanter les lignes avec le naturel de Rubinstein, de marquer les repères structurels avec la fermeté d'un Richter.

A. Ry

Répertoire

On peut évidemment rester interrogateur devant un 10 de Répertoire saluant - entre autres - une Sonate de Liszt et un Art de la Fugue de Bach ! Pourtant, il nous propose une autre révélation majeure : celle d'un pianiste d'origine roumaine, Andreï Vieru. Son parcours de Bach à Scriabine, d'une force de pensée inaccoutumée et d'un impact exceptionnel, lui vaut l'un de nos coups de cœur dont nous sommes plutôt avares.

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Exilé de Roumanie, Andreï Vieru est un pianiste au goût classique, mais d'une austérité suprême et d'une concentration de pensée qu'on ne retrouve que chez les très grands. Qu'il joue L'Art de la Fugue, les Bagatelles de Beethoven, ou la Sonate en si mineur, il fuit le joli, le délicat, l'anecdotique. Il est de la race des Richter ou des Arrau, de ceux que rien ne détourne de l'essentiel.

L'op. 126 de Beethoven, par la variété de ton, par la puissance, le contrôle de l'expression se situe ici au niveau de rigueur des dernières sonates ou des Variations Diabelli. La Sonate en si mineur est aussi un immense moment. Rien d'électrique, pas de fusées comme chez Horowitz, mais une unité de pensée fulgurante. Les passages les plus débridés sont abordés avec sobriété, les passages les plus tendres ne donnent jamais dans la bluette. Pourtant, au contraire de certaines versions austères on ne s'ennuie pas, car l'imagination sonore est toujours présente, la puissance étonnante et la précision chirurgicale.

L'intégrale de L'Art de la Fugue, surpasse à mon sens les interprétations trop romantiques de Grigory Sokolov (Opus 111) ou de Tatiana Nikolaïeva (Hypérion), plus individualistes.

(...) Le genre d'interprétation dont on ne se lasse pas, et que l'on peut approfondir à chaque écoute.

Les Scriabine sont aussi plus que précieux. En fait, ils prolongent l'audition de L'Art de la Fugue. Loin de tout postromantisme, de tout expressionnisme, de tout bavardage, ailleurs, aux frontières du silence, ils font entendre un langage dépouillé, sans tapage et en douce.

Une réalisation fortement pensée et magistralement conçue. À découvrir et à approfondir.

Jacques Bonnaure

Le Monde de la Musique

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

L'intelligence est avec lui, mais aussi un métier sans faille. Rare, secret, donc précieux. Il faudrait pourtant compter avec Andreï Vieru, ce pianiste né en Roumanie et installé en France, où il donne trop peu de concerts. Ce très beau disque de la collection de l'INA vient à point pour proposer un vrai programme, pour installer l'auditeur dans le déroulement d'une pensée musicale.

Simplicité thématique et perfection formelle avec les Bagatelles op. 126 de Beethoven, fresque faustienne avec la Sonate en si mineur de Liszt, architecture sereine et grandiose de l'Art de la fugue et retour à la simplicité, sonore cette fois, avec Scriabine. Voici un enregistrement avec lequel on ne chipote pas : on y reste, on ne le grappille pas.

Vieru installe son piano dans l'éternité : d'abord par le son, entièrement dans l'équilibre d'une ligne médiane - écoutez comment sonnent les bagatelles de Beethoven, la deuxième et la sixième, toutes deux construites autour d'un motif vengeur. Vieru n'y met pas cette rage qui attire tant les doigts des pianistes.

Écoutez l'opposition entre les pianissimos et les fortissimos des premières mesures de la Sonate de Liszt : il s'en dégage un mystère étouffé comme si Vieru refusait encore au piano de sonner afin de le réserver pour plus tard, dans l'énoncé du premier thème, glorieux et totalement assumé au plan pianistique.

Si Vieru était chef d'orchestre, on l'attendrait dans Bruckner, tant il sait construire : son Art de la fugue atteint la perfection parce qu'il n'est pas conçu théâtralement comme une vingtaine de scènes dont la dernière raconte la mort du créateur mais parce que le pianiste s'y efface totalement pour montrer l'œuvre avec humilité, pour la rendre lisible dans la totalité de sa durée.

Écoutez le contrepoint 7 (CD 2, plage 1) : les notes ont leurs poids idéal. Cette fugue d'une complexité affolante est irradiante sous les doigts de Vieru parce que le son est au service de la construction. Ainsi les lignes mélodiques semblent-elles évoluer avec l'évidence de plaques tectoniques, chacune selon son registre, son tempo, sa carrure.

Il y a chez Andreï Vieru une affirmation calme qui rappelle Brendel, avec sans doute plus encore de pudeur. Egalement un refus de l'ostentation, de la mode. Voici enfin un pianiste dont l'instrument ne sonne pas comme le piano d'aujourd'hui : fringant, contrasté, terriblement "objet sonore", "inouï", mais comme un instrument immémorial un instrument de sagesse. Un piano qu'on avait oublié sous les doigts de musiciens de sa génération.

Olivier Bernager

Le Monde

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Ce magnifique programme a été réalisé à partir de récitals donnés notamment à Radio-France, par un pianiste roumain que les majors du disque devraient s'arracher et qu'elles ignorent superbement.

Mais cette histoire-là arrive presque systématiquement, on ne va plus vous la raconter - plutôt tenter de faire mesurer l'exceptionnelle puissance de cet interprète. Capable de faire chanter la musique avec le naturel d'un Rubinstein. Capable aussi de marquer les repères structurels avec la fermeté d'un Richter. Ces comparaisons sont ridicules - l'artiste est solitaire par nature, et trop jeune pour mériter ces références obligées. Disons donc l'admiration que suscite sa capacité d'allier les extrêmes. Sérénité philosophique et narration poétique dans Beethoven ; arches formels (du début jusqu'au fugato, du fugato jusqu'à la dernière note) absolument maîtrisés dans la sonate de Liszt ; multiplicité des registres, des couleurs, des carrures rythmiques pour faire entendre toutes les voix de l'Art de la Fugue. Quelle profondeur de toucher, quelle main gauche ! La grande classe.

A. Ry

Fanfare

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Au dix-neuvième siècle, les super-virtuoses avaient coutume de donner des récitals d'une longueur herculéenne, comparable à la durée de celui-ci, mais ces récitals étaient d'habitude entrecoupés par le genre de "peluches" que sont les paraphrases d'opéra. Le programme de Vieru est implacablement "sérieux" (il l'appelle "musique presbytérienne") et tandis que je ne suis pas sûr d'en pouvoir supporter l'expérience à l'étroit d'un siège de salle de concert, je suis persuadé en revanche que, dans le confort domestique, ou pendant un long voyage en voiture, c'est une expérience musicale remarquable et enrichissante. À propos, je n'ai aucune idée de la façon dont les producteurs ont réussi à réunir deux heures et demie de musique sur deux CD.

Né en Roumanie, Vieru est un artiste qui se désintéresse de manière presque pathologique de l'impression qu'il fait aux autres, comme les notes du livret le font avec insistance savoir. Le choix du programme constitue une première indication d'une pareille attitude. Bien que tous les compositeurs représentés sont des figures majeures, Vieru choisit son répertoire d'une façon iconoclaste.

La Sonate de Liszt est un grand opus romantique et Vieru le joue conscient de tout ce qu'elle vaut. J'ai trouvé dans son approche des réminiscences de la version d'Alfred Cortot de 1929, avec qui il partage un formidable sens des effets de couleur, aussi bien qu'une saine indifférence pour la perfection technique. Quand le jeu de Vieru flambe ou bouillonne, il n'est pas exclu qu'il puisse sacrifier une note ou deux sur l'autel de la passion du moment.

Quelle différence cela fait avec le perfectionnisme fanatique de Pollini et de Brendel ! Mais pour moi, Vieru est bien plus près du cœur de la musique. La richesse harmonique que Vieru maintient même à des niveaux sonores élevés est une autre qualité qu'il a en commun avec Cortot.

Peut-être que l'élément le plus important du jeu de Vieru (qui le lie aux pianistes de l'âge d'or comme Cortot et le distingue des gens comme Pollini et Brendel) est l'intégration des variations des tempi dans son phrasé dynamique. Ce n'est pas simplement une question de jeu de rubato et d'accents agogiques. Vieru accélère ou ralentit selon ce que le sens musical lui enjoint de faire, même si la partition ne le stipule pas spécifiquement. Il atteint à ce style interprétatif d'une façon si organique que l'auditeur, parfois, ne peut pas aisément s'en rendre compte, surtout s'il ne connaît ni la partition, ni d'autres interprétation que celles, plus rigides, de la plupart des pianistes d'aujourd'hui. Le style de Vieru est naturel au plus haut degré.

Vieru apporte la grâce de cette approche aux délicates bagatelles de Beethoven, réalisant une belle interprétation de ce bizarre petit chef-d'œuvre. Le massif Art de la Fugue est rendu expressif par le jeu large, romantique de Vieru ; savoir si c'est vraiment là un style approprié à cette musique est une question de goût personnel. Il annonce immédiatement sa vision majestueuse de l'Art de la Fugue, prenant pour le premier Contrapunctus deux fois plus de temps que Kocsis dans son exécution de 1985. Kocsis emploie aussi des rythmes plus droits et un touché plus léger. Le Bach de Vieru est résolument pianistique, quelque peu à la façon de Richter. Comme Richter, Vieru utilise le phrasé coloré et dynamique pour souligner la texture polyphonique de la musique, bien que Bach n'ait jamais eu ce genre de moyens à sa disposition. Ainsi, bien que cette façon de jouer Bach ne soit pas, stricto sensu, authentique, c'est toujours musicalement sensible et sensé, ce qui est de loin plus important.

C'est là une interprétation vivante, et on peut seulement imaginer le charme hypnotique que l'Art de la Fugue avait dû dégager, lorsque, soixante-quinze minutes après le sombre début, Vieru a projeté dans l'air immobile les lignes finales, incomplètes de la conclusion de la vie de Bach.

Peter Burwasser

Diapason

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Ceux qui ont eu l'occasion d'observer Andreï Vieru face à son instrument le savent : on imaginerait difficilement plus dédaigneux de l'"effet" que lui, et ces deux CD constitués d'enregistrements sur le vif tracent un portrait extrêmement fidèle du pianiste roumain.

D'entrée de jeu, les Bagatelles op. 126 frappent par cette évidente volonté d'aller à l'essentiel qui caractérise Vieru et s'exprime par une ligne musicale très ferme et une sonorité impressionnante par sa densité. L'éblouissante maîtrise du texte qu'affiche l'interprète s'impose avec plus d'évidence encore dans L'Art de la Fugue. Exécuter ce chef-d'œuvre au piano ne lui fournit jamais prétexte à une quelconque surcharge expressive - à la différence du décevant enregistrement de Sokolov (Opus 111). La voie qu'il trace ignore la facilité, mais derrière cette austérité de ton vibre toute l'humanité de Bach. A elle seule, cette version rend l'album indispensable. L'enchaînement avec Scriabine se fait tout naturellement. Dans la Sonate no 9, l'interprète se souvient de ce que le sous-titre "Messe noire" n'est pas du compositeur. Loin de tout satanisme de pacotille, il offre une vision très moderne et pure de l'œuvre - une sorte de "catharsis" préparant à l'éblouissante Dixième Sonate, que l'on aimerait découvrir sous ses doigts.

Alain Cochard

Répertoire

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Le double album d'Andreï Vieru a été salué par l'ensemble de la critique (dont un 10 de Répertoire). Le jeune Vieru a de quoi nous séduire, ne serait-ce que par son approche très introspective des œuvres qu'il aborde. À cet égard, son Art de la Fugue de Bach nous livre un peu de sa remarquable intelligence à saisir les subtilités d'un contrepoint rigoureux sans rien sacrifier à l'ascèse froide prônée par certains.

Écoutez avec quelle émotion il délie la dernière fugue et la perd dans un silence de mort douce : "Komm, süsser Tod ��

Et les Scriabine ont la beauté des rêves (Sonate no9, Désir op. 57 no1, Poème op. 59 no1).

 

Répertoire Guide

BEETHOVEN : 6 Bagatelles op. 126.
LISZT : Sonate en si mineur.
J.S. BACH : L'Art de la fugue.
SCRIABINE : Sonate no 9. Désir op. 57 no 1. Poème op. 59 no 1.

Enregistré en concert, Andreï Vieru révèle un talent exceptionnel dans un répertoire
plutôt austère.

Il fuit le joli et le délicat pour aller droit à l'essentiel. Ce qui nous vaut une passionnante intégrale de l'Art de la Fugue, la meilleure réalisée à ce jour. (...) Un artiste profond.

 

Fono Forum

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Dans sa discographie des Variations Diabelli, Jens Hagestedt regrettait que Glenn Gould n'ait pas laissé d'enregistrement et que quasiment aucun pianiste n'ait vraiment laissé de traces satisfaisantes de la partie centrale du Largo. Andreï Vieru a comblé ce manque - son jeu dans les passages difficiles est d'une merveilleuse élasticité, et culmine dans la 31ème variation, que le pianiste soumet très bien à un étirement qui en double la durée par rapport au tempo habituel.

 

Les Bagatelles op.119 sonnent comme des pièces ténues et fragiles : de ces pièces se dégage une impression de mélancolie résignée.

Malte Krasting

HI-FI NEWS & RECORD REVIEW

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Bon, d'accord, cet enregistrement des variations Diabelli ne marche pas sur les brisées de Serkin� Et si le nom de Horszowski (qui en 1953 fit jadis pour Vox un enregistrement unanimement acclamé) avait été inscrit sur la couverture ? Non, je rejette cette évaluation tiède : pour moi, ce jeune musicien de Bucarest a vraiment quelque chose à dire.

Pour être franc, on sait qu'il est facile de "décrocher" pendant cette longue œuvre (comme pendant les variations Goldberg de Bach), mais Vieru apporte une fraîcheur certaine dans chaque nouvelle variation. Son jeu est autoritaire ; il est pourtant tout à fait original - sa voix, souvent douce, lui appartient en propre.

Il joue certaines variations plus lentement que je ne l'aurais normalement souhaité (par exemple, la variation VIII poco vivace, la variation XI allegretto et la XV grave e maestoso, dans lesquelles il y a une beauté lumineuse avec de soudains traits de son blancs). La Fugue (l'avant-dernière variation précédant l'énigmatique Menuet) est rigoureuse, mais ne verse jamais dans la brutalité ; elle n'est jamais froidement intellectualisée ; rien n'y manque, ni l'appogiature inattendue juste après les octaves pesantes de la main gauche (à 1'16'' de la plage 44), ni le changement d'humeur pour la deuxième partie (les croches après le point d'orgue : 1'44'' de la plage 44), qui est le résultat d'une impressionnante montée.

Avec son beau son et l'élégance de son style, il rappelle souvent son collègue et compatriote Radu Lupu. Bien qu'il ne refuse jamais à l'auditeur la chaleur, il présente la logique de ces pièces avec une certaine objectivité.

Les Onze Bagatelles sont soigneusement conçues avec des relations entre les tempi qui assurent l'unité du cycle ; les indications dynamiques sont scrupuleusement respectées, même si le rubato peut être parfois très marqué (comme dans le 3/4 Vivace moderato, bagatelle no 9). La cinquième bagatelle, Risoluto, est jouée dans un tempo assez lent, ce qui permet aux trilles de s'y adapter d'une manière sensible.

La qualité de la prise de son se situe entre "bonne" et "magnifique" et je recommande fortement cet enregistrement.



AMERICAN RECORD GUIDE

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

(...) Celle-ci est une lecture riche, pleine de chaleur, qui navigue aisément à travers la Diaspora imaginaire de Beethoven. Il y a, dans cet enregistrement, un foisonnement d'idées. Chaque variation assume un caractère à part entière. Vieru trouve aussi le tempo idéal pour le petit thème prétentieux de Diabelli, que Beethoven transforme et révèle, dans moins d'une heure, comme un emblème du statu quo � Témoin, aussi, la façon méditative, pensive, de Vieru, de refléter la mélancolie des mélismes sinueux de la XXXIème variation, qui exprime si intensément l'ambivalence philosophique de Beethoven : la banalité bourgeoise du thème initial de Diabelli est à la fin transfigurée en une exaltation spirituelle. (...)

Vieru possède un son exceptionnellement riche, de bronze, un legato moelleux et un pianissimo fait de plénitude et de velours.



Le Bien Public

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Ce nouvel enregistrement d'Andreï Vieru n'appelle que des éloges : fidélité au texte, architecture superbe, émotion contrôlée mais réelle naissant de la seule construction musicale.

Son jeu analytique est d'une clarté. Andreï Vieru souligne la richesse des harmonies, suit la construction savante et nous rappelle que la partition est, en soi, un chef-d'œuvre d'une complexité fascinante, à laquelle se doit de suffire une lecture rigoureuse.

L'exigence de l'interprète atteint son but ; tout est dit : l'esprit, le rythme, les coupures, le caractère épique, énigmatique, martial, l'humour, la tension, les chocs dramatiques, explosifs, la douceur et la joie.

Les bagatelles soutiennent le même intérêt.

À connaître.

 

Haute Fidélité

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Pianiste secret et artiste singulier, Andreï Vieru n'est pas de ces musiciens qui cherchent à séduire par des œillades complices ou des interprétations empanachées. Son répertoire ne supporte d'ailleurs pas les effets de manche : Vieru aime les "grandes" œuvres du répertoire, les compositions qui impliquent autant l'esprit que le cœur.

Ce penseur de la musique est aussi poète qui sait, grâce à un toucher des plus subtils faire chanter et danser les notes. Les aphorismes des Bagatelles et l'architecture vertigineuse des Variations Diabelli sont pour ce pianiste un programme "sur mesure" dont il restitue la diversité, la richesse et l'humour bougon.



Le Monde de la Musique

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Très différent d'un Backhaus, d'un Serkin, d'un Brendel, d'un Arrau ou d'un Richter, Andreï Vieru veut réconcilier l'unité et la diversité en exprimant cette sorte de simplicité purifiée qui résulte paradoxalement de constellations discontinues paraissant au comble de la complication, mais qu'une secrète proportion relie entre elles. Vieru analyse, questionne, défie l'architecture et les détails tout en s'immergeant avec autant d'intelligence décapante que d'humilité dans la pensée de Beethoven. Il cherche l'épure, de toute évidence, mais trouve autre chose que la froideur sur sa route, et ses élans ses phrasés, parfois proches d'une abstraction alla Serkin, ne se diluent jamais dans un esthétisme glacé. Tout au contraire, on est peu à peu conquis par l'effacement du pianiste, qui devient presque mystérieux, voire onirique, dans les dernières variations sans rien négliger de leur part d'humour et d'humanité. Dans les Onze Bagatelles op. 119, Andreï Vieru concilie avec la même singularité ferveur, calme et hauteur de vue.

Patrick Szernovicz

Classica

BEETHOVEN : Onze Bagatelles op. 119.
BEETHOVEN : Trente-trois variations sur un thème de Diabelli op. 120.

Andreï Vieru nous propose un disque bien rempli - les Onze Bagatelles sont un vrai "plus" - une autre vision du monument.

Son grand mérite est d'avoir tranché d'une manière radicale dans le foisonnement des possibles. Prenez par exemple la Variation 31 : sa lenteur d'exécution est à peine croyable. C'est très beau, mais c'est choquant. Qui a écrit cela ? Beethoven ? Mais alors un Beethoven qui aurait connu Chopin. On sait qu'il y a beaucoup d'ironie dans la partition, on voit qu'il y en a tout autant dans son interprétation.

 

The American Record Guide

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Pour ceux de nous qui avons grandi avec Boris Godounov et avions connu les paroxysmes de Stokowski dirigeant sa version des Tableaux d'une exposition, la partition originale pour piano de Moussorgski pâlit en comparaison.

Indépendamment de la version choisie, les Tableaux constituent une expérience musicale centrale, la chronique esthétique d'un proto-populiste (pour dire les choses trop vite) amoureux du pain noir et du miel, des sapins et de la neige. Mais quiconque connaît l'amour de la langue et de la culture russes sera inévitablement ému par son envergure historique et par sa profonde humanité : comme une vieille photographie jaunie, elle porte en elle quelque chose du temps et de la culture qui lui fit voir le jour il y a plus d'un siècle.

Mais il le fait avec une spécificité plus grande que la plupart des objets d'art, dans lesquels il saisit - ou du moins, imite avec une précision étrange - les inflexions particulières, les rythmes et les cadences de la langue russe. A l'intérieur de son espace compositionnel, la résonance creuse de la langue éclôt, tandis que son réservoir de myagkiye znaki (des signes doux), des voyelles voilées et l'éclat des coups de glotte surgit avec une énergie rhétorique indubitable.

On pourrait affirmer que le pianiste roumain Andreï Vieru saisit tout cela dans son interprétation vive et intelligente. Ses tempos sont brusques ; les équilibres de sa dynamique, méticuleusement calculés. En mettant ce monstre monolithique au microscope, Vieru fonce en prêtant une attention scrupuleuse aux motifs les plus minuscules. C'est une lecture quelque peu baroque qui voue un culte à la force des caractérisations succinctes. Mais au fond, c'est là un concept à peine étranger à l'interprétation de Moussorgski, dans la lumière même de l'esthétique propre au compositeur, laquelle, tout comme chez ses prédécesseurs baroques, mue la parole et ses rythmes en combustible de l'émotion.

Vieru évite la bravoure coutumière associée aux sections les plus bruyantes de cette œuvre, favorisant au lieu de cela une sorte de sinuosité allant droit au but qui en réduit l'échelle, comme s'il scrutait tout d'une grande hauteur. La galerie est ici moins suggestive de la splendeur de l'Ermitage, avec ses labyrinthes sans fin et avec l'abondance de ses façades rococo, qu'elle ne l'est des intimités de la Collection Frick et de ses discrets salons, vestibules et corridors. Dans le dernier, l'œil est attiré presque exclusivement vers les peintures, par opposition à l'environnement où ils sont exposés.

Tandis que j'admire l'approche discrète, sotto voce, de Vieru comme un changement bienvenu de la tonitruante bravoure si souvent rencontrée dans ce qu'est devenue la routine des pianistes, sa voie me semble parfois trop raffinée. Il y a quelques effets innovateurs (le subito attacca du "Gnomus", par exemple, est livré, tel un coup de poing, avec une verve admirable). "Il Vecchio Castello" est sobrement dessiné, comme une gravure plutôt que comme une toile dans un cadre ornementé. Ici Vieru semble admirer les détails architecturaux du vieux château - ses tourelles orientées et ses contreforts, ses soubassements, ses silhouettes ombragées mises en relief par les rayons du soleil.

Le touché de Vieru est léger, semblable au laser, favorisant quelquefois un certain détaché dans la main gauche. "La Hutte de Baba Yaga" tire tous les avantages d'un tel leggiero. Mais Vieru peint une sorcière sans verrues, un ogre de Hollywood quelque peu assaini.

Ce sont là des Tableaux d'une exposition idéalisés, joués authentiquement avec une certaine pureté, mais aussi avec autorité et bon goût. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'une interprétation excellente. Il rejette la dure et pompeuse lourdeur de bras que des pianistes moins doués y apportent.

Sacre du Printemps est, de même, élégant et "urbain". Cependant, le duo jouant est ici époustouflant, tout au long de la traversée par Vieru et Dan Grigore de cette transcription de Stravinsky lui-même (à l'origine pour piano à quatre mains, mais fort intelligemment jouée ici sur deux pianos). C'est une performance extrêmement impressionnante.

La prise de son est claire et transparente, sans la moindre distorsion - une réussite technique impressionnante, étant donné le volume souvent très élevé de la musique elle-même.

Young

Gramophone

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Voici deux œuvres dont la température est à la mesure de la ferveur révolutionnaire russe, deux œuvres qui cassent les règles en allant bien au-delà des paramètres musicaux précédemment connus. Cet enregistrement en dit long sur la capacité du pianiste roumain Andreï Vieru à recréer la partition de Moussorgski dans toute sa richesse et sa gloire innovatrice�

Les Tableaux d'une exposition : l'impact global est à la fois sensible et manifeste. Dans "le Vieux Château", il y a un sens impressionnant de l'étonnement, comme si l'on se ressouvenait les "batailles perdues et gagnées" et Vieru est vraiment sépulcral et mystérieux dans "Catacombae".

Le Sacre du Printemps de Stravinsky est présenté dans la version à deux pianos du compositeur et ici Vieru est rejoint par son professeur et compatriote Dan Grigore. Leur jeu, depuis l'appel primal à l'attention jusqu'à l'hyperactivité qui s'ensuit est d'une puissance et d'un charisme magnifiques. Les deux pianistes s'approprient l'énorme spectre de la technique et de l'imagination de Stravinsky, avec un sens approprié de l'aplomb et une attention scrupuleuse portée aux détails.

 



Classic FM

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

La version du Sacre du Printemps pour deux pianos a quelque chose d'essentiel à offrir. Stravinsky lui-même l'a rédigée pour des fins de répétition ; elle frappe par l'énergie explosive et l'originalité de la musique d'une manière étonnamment tranchante et acérée, ainsi qu'Andreï Vieru et Dan Grigore le démontrent dans leur impressionnante interprétation.

Tandis que les rythmes percutants de la musique ont une grande force d'impact sur deux pianos, les passages moins percutants - tels l'introduction à la Première Partie ou "L'action rituelle des ancêtres" - n'en dégagent pas moins un certain mystère.

Pour la bonne mesure, il y a une exécution colorée, puissamment articulée, en tous points excellente, par Vieru seul d'un autre chef-d'œuvre de la musique russe, celui-ci dans sa version originale : les Tableaux d'une exposition de Moussorgski.

 

 



CD Compact

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps

Le pianiste roumain Andreï Vieru fit une apparition fulgurante dans le marché du disque il y a à peu près un an avec un enregistrement splendide des Tableaux d'une exposition de Moussorgski complété par une version pour deux pianos du Sacre du printemps de Stravinsky.

Après les avoir écoutés, ils ont immédiatement attiré mon attention grâce à beaucoup de traits qui l'apparentent à son compatriote Radu Lupu : un son de grande densité, une conception très orchestrale de l'instrument, une grande subjectivité interprétative�

 

 



Classic CD Magazine

MOUSSORGSKI : Tableaux d'une exposition
STRAVINSKY : Le Sacre du Printemps


Le Sacre du printemps : joué avec un tel plaisir, enregistré avec une telle présence et un tel relief, une telle ampleur et une telle plénitude.

Andreï Vieru est un excellent interprète de l'œuvre de Moussorgski ; il y révèle toute sa variété de couleurs, sans y sacrifier la cohérence.

Excellente interprétation de deux œuvres dont la présence sur un même CD est inhabituelle.

 

 

 

 

 

 



Diapason

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Artiste à la recherche de la perfection, admirateur de Glenn Gould "pour son mépris pour le �stylistiquement correct� et pour l'originalité cachée, inévidente", disait-il dans une récente interview, Andreï Vieru va à l'essentiel dans les Variations Goldberg, qu'il joue sans aucune reprise. L'œuvre respire et frémit parfois (var. 1, 2), toujours dans une rigoureuse simplicité de ton et un dépouillement extrême (voir la lente méditation de la (var. 15), que ne vient entacher aucun accent artificiel (var. 13). La précision du jeu donne un caractère à chaque variation : quel contraste entre le délicieux passe-pied de la var.19 , apparemment sans prétention, et les traits de toccata de la var. 20, ou entre le tempo exceptionnellement lent de la var. 25, assumé avec une ferveur poignante, et la fougue de la var. 26. Quelle qualité d'âme dans cette vingt-cinquième variation ! Dans un cycle aussi complexe que celui des Goldberg, la technique ne peut aller à l'essentiel que si elle puise à la source de l'émotion la plus sincère, du sentiment le plus authentique. Vieru nous propose là une vision hautement personnelle, et à ce titre passionnante, d'une œuvre que l'on dit trop souvent intellectuelle. Elle ne laissera personne indifférent.

Adelaide de Place

AMERICAN RECORD GUIDE

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Le père d'Andreï Vieru est compositeur ; sa mère, musicologue. Quelle enfance extraordinaire il doit avoir eu !

Sur ce nouveau CD Harmonia Mundi, cela devient manifeste par le choix du répertoire et la qualité de jeu inhabituels. Les Variations Goldberg sont mises dans un contexte esthétique plus vaste que d'habitude, parce que Vieru joue aussi des morceaux du Petit Livre d'Anna Magdalena, d'où vient l'aria que Bach prend comme thème pour ces variations. Vieru joue les chorals Wer nur le den lieben Gott laßt walten (BWV 691), Gib dich zufrieden und sei stille (BWV 510-512) et Dir, dir, Jehova (BWV 299) ; le premier prélude du Premier Livre du Clavier bien tempéré ; le Scherzo et Burlesca de la Troisième Partita et l'Air de la Sixième Partita ; la petite marche en Ré majeur (aujourd'hui attribué à C.P.E. Bach).

Et si ce n'est pas assez, Vieru joue aussi sa propre version inhabituelle des Quatorze canons sur les huit premières notes du thème des Goldberg que l'on a découverts en 1976. Sa conception des canons est très libre et il y inclut de petites intrusions - intelligentes mais excentriques - des pièces d'Anna Magdalena et des Variations Goldberg en plus des canons eux-mêmes. En mettant de côté de telles excentricités pardonnables, je peux attester que le style de Vieru est solide et tonique, témoignant d'un cœur sensible, romantique au sens traditionnel.

Je doute fort que, dans un avenir proche, l'on aura gravés sur CD des interprétations de chorals et de pièces d'Anna Magdalena qui soient aussi profondes. Et bien sûr, l'écoute de ces lectures si pénétrantes de fragments familiers tirés du Clavier bien tempéré et des Partitas m'oblige à me demander à quoi un enregistrement complet des unes ou de l'autre pourrait ressembler, si Vieru s'y mettait.

Ses Variations Goldberg penchent souvent du côté méditatif du spectre des tempos, mais Vieru fait beaucoup de changements d'intensité, de ton et d'articulation, de sorte que chaque variation a un caractère très individuel. Et, comme Glenn Gould, Vieru a le don de rendre le contrepoint de Bach clair comme de l'eau de roche. Il y fait peu de reprises.

Il y a beaucoup de grands moments dans cet enregistrement. En voici quelques-uns : la première variation coule dans un Allegro aisé, délicat et lyrique ; la deuxième variation est gaie, avec une excellente économie de jeu non legato, avec des changements soudains d'humeur et une différenciation limpide des trois voix polyphoniques. Les variations 15 et 25 sont d'un merveilleux calme. (Sa version de la variation 15 est un grand antidote contre l'interprétation sérieuse et terre-à-terre de Metz, que j'avais toujours dans mon esprit.) Et dans les quatre mesures finales du Quodlibet (variation 30), Vieru fait un remarquable diminuendo en même temps qu'un ritardando ostensible, comme si une boîte à musique céleste s'éteint et atteint au silence.

HASKINS


Le Monde

JEAN-SÉBASTIEN BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
JEAN-SÉBASTIEN BACH : Variations Goldberg

Depuis presque dix ans qu'il réside en France, Andreï Vieru s'est affirmé comme un talent singulier et exigeant. Puriste dans l'âme, il opère avec les œuvres qu'il joue cette "recherche fondamentale" qui distille la Quintessence et ouvre les perspectives. Il y a là double parcours, entre intelligence didactique et cheminement poétique. Voilà pour la démarche, qu'en est-il de la marche ? Elle est rapide et presque farouche, avec un sentiment d'urgence qui ne se défend pas de chanter. Intelligible pièce à pièce, sobre toujours, aux prises avec le développement unidirectionnel de l'œuvre comme avec ses fluctuantes dilatations. Une dilatation parfois prémonitoire comme dans la Variation 5 d'une acception quasi beethovénienne. Expressivité et pudique nostalgie (Variation 13), dimension tragique (Variation 15), Vieru s'ingénie à marier les contraires, accentuant à loisir l'étrange modernité de la Variation 25 au point qu'il la projette dans un inconnu stylistique et musical, se plaisant à un Bach qu'il déclare - paradoxe typiquement roumain ! - comme "plagiaire par avance".

M.-A. R.



Le Monde de la Musique

J.S. BACH : Petit Livre d'A. M. Bach (extraits).
BACH - VIERU : Quatorze canons sur les huit notes fondamentales de l'Aria des Variations Goldberg.
J.S. BACH : Variations Goldberg.

Comme dans son enregistrement récent, remarquable, des Variations Diabelli, Andreï Vieru analyse, questionne, défie l'architecture et les détails tout en s'immergeant dans l'univers des Goldberg, auxquelles il adjoint, en exergue, des extraits du Petit Livre d'Anna Magdalena Bach et Quatorze canons sur les huit premières notes de la basse de l'aria.

Son jeu, privilégiant le moindre accent, le moindre contrechant, ne laisse rien dans l'ombre et respire avec ferveur. Sans pousser, tel Glenn Gould, la clarté polyphonique jusqu'à la limite du supportable, Vieru met en valeur un texture qui se garde de demeurer factuelle pour tendre à l'expression, à la caractérisation. Cette approche à la fois rude et nuancée vaut par ses intuitions, son aisance agogique.

Patrick Szernovicz

www.ramifications.be

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

Lorsque l'équilibre s'obtient avec patience, évidence et mesure, l'inventivité se glisse dans les sensations dont les élans d'Andreï Vieru libèrent la délicate diversité. La précise architecture du Clavier bien tempéré n'exclut pas ses riches frémissements émotifs : préludes et fugues envoûtants, mélancoliques, troublants ou joyeux, allègres et vertigineux. Vieru en exprime les nuances sans trahir leur unité ni briser leur élévation douce et soutenue vers une sereine clarté. Aucune déchirure n'en ternit l'éclat et pourtant la fragile humanité transparaît dans la douceur radieuse du pianiste roumain qui suggère avec bonheur la persévérance de l'âme vers l'envol.

Isabelle Françaix

Diapason

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

La Fugue en ut majeur est mise à plat : elle coule dans un tempo plutôt lent, nimbée de pédale. Suit un étonnant Prélude en ut mineur, aussi éolien que l'Etude op. 25 no 1 de Chopin. Vieru a entrepris de varier les angles, faire chanter la basse, rééquilibrer les voix, respirer par mesures plutôt que par temps. Il orchestre chaque page mais ne procède jamais par imitation instrumentale. Quoique. Ecoutez ces majestueux sujets de fugue énoncés dans le grave, nobles et un brin traînants, comme chantés sur un pédalier d'orgue. Ou encore, dans le Prélude en si bémol majeur, les bariolages répartis entre les deux mains qui acquièrent ici une fluidité guitaristique.

Inattendue aussi, la réorganisation de la hiérarchie des voix et des plans sonores, par les tempos apaisés, sans que le seuil de l'exagération ne soit jamais franchi. Atténuant souvent l'éclat des voix supérieures, c'est le caractère même de ces pages qu'il détourne parfois, les amenant vers une mélancolie consolatrice superbement assumée. La douceur qui baigne tout le premier livre est due au phrasé particulier de Vieru, qui exploite subtilement des variations de couleurs, d'intensité pour mener les phrases. On dépeint souvent le Bach de Vieru comme "intériorisé", il serait ici plus juste d'évoquer la confidence.

Nicolas Baron

Le Monde

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

On aborde le Clavier bien tempéré comme les acteurs incarnent le Lear de Shakespeare ou les chanteurs Le Voyage d'hiver de Schubert, une fois l'âge venu. Éprouvant pour les doigts, le cycle l'est peut-être plus encore pour le cerveau : il faut conférer à ces préludes stylistiquement si différenciés et à ces fugues complexes une cohérence générale qui n'amoindrisse pas la singularité de leurs parties.

Chaque maillon du Clavier bien tempéré peut être une chose et son inverse. C'est ce dont témoigne le pianiste français d'origine roumaine Andreï Vieru, 47 ans ; celui-ci a parsemé son enregistrement du Premier Livre, qui paraît chez le label français Alpha, de variantes, incluses au parcours même des 24 préludes et fugues�

Comme Ashkenazy, Vieru se fiche de la grammaire et du vocabulaire baroques. Mais, chez Vieru, la chose paraît secondaire tant le jeu du pianiste est architecturé. Dès le premier prélude, le fameux prélude "blanc" en ut majeur, mais dans sa deuxième version (plage 2), Vieru fait entendre un crescendo dans l'amollissement du son, gagné progressivement par la "liquidité" apportée par la pédale forte et la légère rétrogradation du tempo. En quelques instants, un "théâtre acoustique" est installé.

La sonorité est d'un beau mordoré, profonde, propice à de subtiles gradations de densité, de texture, d'articulation, le jeu de pédales est subtil. Les longues fugues trouvent dans ce jeu noble mais jamais hautain l'une de leurs plus belles incarnations au disque : la fugue finale du premier livre, dans le même si mineur tourmenté que celui du "Kyrie" de la Messe en si, le dit avec cette évidence aveuglante qui n'appartient qu'aux grands interprètes.

Renaud Machart

Diverdi

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. I.

En matière de répertoire baroque, n'en sommes-nous pas restés, encore et toujours, au combat qu'oppose depuis des décennies les partisans des interprétations sur instruments d'époque aux défenseurs des instruments modernes, combat qui semblait tourner clairement à l'avantage des premiers ? Comment se fait-il alors que le label ALPHA, porte-drapeau de l'interprétation de la musique ancienne dans le cadre historique qui lui est propre, nous présente une version du Clavier bien tempéré par un Andreï Vieru qui ose s'asseoir rien de moins que devant un gigantesque piano Steinway ? S'agit-il là d'une provocation ?

De semblables questions rôdaient dans la tête de l'auteur de cette critique avant qu'il n'écoute le Premier Livre (2 CD) du Clavier bien tempéré de J.S. Bach. Il est certain qu'il est difficile de savoir à quel instrument Bach pensait exactement après l'avoir écrite, puisque en son temps le mot clavier servait à désigner n'importe quel type de clavier.

Mais Vieru a préféré graver le Clavier bien tempéré au piano, selon l'habitude qui régnait avant que le grand Leonhardt et ses coreligionnaires n'aient préféré faire le contraire. Il s'est mis donc devant son Steinway et, force est de le reconnaître, a pénétré à fond l'esprit de la composition, pour nous offrir sa précieuse succession de préludes et fugues - avec un lyrisme profond, avec le plus grand équilibre, en respectant toutes leurs subtilités rythmiques et harmoniques.

La lecture de Vieru est exempte de contrastes dynamiques étrangers à l'œuvre. Le choix de ses tempi n'a rien d'artificiel, d'extrême. Il y a là en revanche un traitement des timbres singulièrement précis, raffiné, sans brusquerie aucune dans le tissu sonore, sans d'inutiles prouesses techniques qui auraient pu porter atteinte à la solidité de l'architecture. Les sonorités ne manquent pas de chair. Leur hiérarchisation est superbe ; la compréhension du contrepoint, exquise (écoutez cette Fugue en ut mineur BWV 847, certes d'une délicatesse inaccoutumée, ou la Fugue en Ré majeur BWV 850, aux intensités sonores précisément circonscrites à leur impact idéal).

C'est comme si l'interprète sondait la vibration propre à chaque section pour mieux l'adapter à son diapason interne. Cet enregistrement de Vieru a quelque chose d'une méditation. Une méditation sur la fidélité et l'inspiration à l'heure où la question se pose d'interpréter cette partition au piano moderne, en optant finalement pour une position paradoxale : un vol poétique, subtile au plus haut degré, qui ne cesse de respirer et d'animer l'immense rigueur structurelle de ces architectures sonores si légères et si complexes.

Le résultat est fascinant. C'est comme d'écouter un Bach - un grand Bach - dans lequel résonne obscurément, surgissant d'une strate très profonde et occulte, le battement du dernier Beethoven ou du dernier Schubert. Nous attendons avec intérêt la deuxième partie de ce Steinway bien tempéré.

L. J. R. V.

Classica-Répertoire

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Ce Second Livre, interprété lui aussi avec beaucoup d'intériorité, de recueillement, en toute intimité, nous parvient de la même manière un peu distanciée, comme de la lumière filtrée par les vitraux d'une église, mais sans que le style très personnel du pianiste ne s'interpose jamais entre la musique et l'auteur : il y apporte une incontestable profondeur poétique. Et il tient ses tempos lents avec une maîtrise remarquable. Cette vision calme et unifiée apporte assurément quelque chose de nouveau à la discographie.

 

Diapason

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le Livre I nous avait séduit par sa vision intériorisée, sa permanente réinvention du timbre pianistique. C'est la même quête qui anime le deuxième cahier, le pianiste s'attachant à varier les angles d'une page à l'autre, comme à la recherche de la sonorité et du jeu adéquats pour chacun de ces préludes et fugues, considérés tels des diptyques picturaux qu'il conviendrait d'éclairer différemment. Tempos retenus, voix individualisées, équilibres remis en cause, Vieru s'invite chez Bach comme on relit ses classiques : avec la patiente gourmandise de celui qui a déjà arpenté le chemin.

Témoin de cette vision parfois proche de l'orchestration, le Prélude en si bémol majeur est chanté comme une pastorale organistique soutenue par les accents traînants du pédalier. Le Prélude en sol mineur semble convier la douceur des cuivres et leurs appels dispersés dans l'espace illustrent à merveille le permanent rééquilibrage des voix qui caractérise ce Clavier bien tempéré nimbé du ton de la confidence.

Nicolas Baron

La Tribune de Genève

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le pianiste roumain Andreï Vieru propose toujours des interprétations pensées en profondeur, qui résistent à l'épreuve du temps. Dans le Deuxième Livre du Clavier bien tempéré de Bach (3 CD Alpha), son approche sereine fait merveille. Tout en conservant une infaillible clarté polyphonique, Vieru humanise cette musique qui pourrait s'étouffer sous le poids de sa propre perfection.

 

La libre Belgique

J.S. BACH : Le Clavier bien tempéré vol. II.

Le disque de la semaine

Le pianiste français d'origine roumaine Andreï Vieru mériterait sans nul doute plus de notoriété. Fils du compositeur Anatol Vieru mais aussi digne héritier d'une lignée de pianistes roumains aussi illustres que Dinu Lipatti et Radu Lupu, il achève ici avec le Deuxième Livre une intégrale du Clavier bien tempéré qui fera date.

Il paraît que Vieru hésita longtemps entre la musique et les mathématiques, mais la simplicité de son approche et la transparence de son toucher l'inscrivent plus du côté de Richter ou Schiff que de celui de Gould. C'est une merveille que d'entendre cet émouvant mélange d'humilité et d'intériorité qui caractérisent son jeu.

N. B.

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